L’être humain a besoin de catégoriser le monde vivant pour le définir et le situer dans son environnement. Ceci fait l’objet de la taxonomie. On peut définir une espèce selon différents concepts. Selon le concept biologique de l’espèce, lequel prévaut au sein des biologistes de l’évolution, les espèces sont génétiquement isolées les unes des autres et non interfécondes. Il existe en effet diverses barrières reproductives naturelles empêchant les échanges de gènes entre espèces.

Mais lorsqu’il y a hybridation, il y a justement croisement entre deux espèces distinctes, lequel croisement produit des individus hybrides montrant un mélange de caractéristiques propres aux deux entités parentales. L’hybridation invaliderait-elle alors l’espèce biologique? Serait-elle autrement un phénomène rarissime?

C’est ce j’ai pu discuter au cours d’une soirée de la série ParlonsNature en compagnie de l’animatrice Fabienne L’Abbé et du public qui assistait à la rencontre.

Les fervents partisans de l’espèce biologique, notamment les zoologistes, considèrent l’hybridation comme une brèche dans les mécanismes d’isolement reproductif, une erreur.

L’hybridation est naturelle. Des analyses génétiques montrent que l’ours polaire, Ursus maritimus, s’hybride avec le grizzly, Ursus arctos, depuis 120 000 ans. Des cas similaires existent dans le monde animal.

Trois crânes de tailles différentes disposés côte-à-côte : coyote, Canis latrans; coyote de l’Est, Canis latrans thamnos et loup, Canis lupus.
Au temps de la glaciation du Wisconsin, le coyote de l’Ouest, Canis latrans (petit crâne dans la photographie) et le loup, Canis lupus (grand crâne) ont été refoulés vers les régions méridionales de l’Amérique du Nord dépourvues de glaciers. Les barrières géographiques et écologiques qui maintenaient les deux espèces séparées l’une de l’autre se sont alors effondrées; les deux espèces ont commencé à s’hybrider l’une avec l’autre il y a près de 11 000 ans. Un hybride très vigoureux et de taille intermédiaire s’est formé, le coyote de l’Est (crâne du milieu). Il ne cesse depuis de se propager vers les contrées septentrionales de l’est du continent. On s’accorde à dire qu’il s’agit d’une sous-espèce du coyote, Canis latrans thamnos. Cependant, certains soutiennent au contraire qu’il s’agit d’une nouvelle espèce. Image : Kamal Khidas © Musée canadien de la nature

Chez les animaux, le taux moyen d’hybridation se situe autour de 10 %. En fait certains groupes taxonomiques présentent des moyennes bien plus élevées. Chez les canards, 76 % des espèces s’hybrident entre elles. Dans la famille des Phasianidés, celle des dindons, des perdrix, des faisans et des poules, le taux d’hybridation est tout aussi élevé, voire plus. Pour les papillons, les chiffres varient entre 6 % et 35 %, dépendamment des genres.

Cependant, sur une base individuelle, l’hybridation apparait comme un phénomène plutôt rare. Chez le rorqual commun, de 0,1 % à 0,2 % des individus chassés, au temps où c’était permis, étaient des hybrides issus du croisement avec le rorqual bleu. Le taux d’hybridation sur une base individuelle se situerait typiquement entre 0,01 % et 0,1 %.

Un séquenceur d’ADN dans une salle du Musée canadien de la nature.
Les hybrides peuvent être identifiés à l’aide de caractères morphologiques. Les techniques de biologie moléculaires sont probablement un meilleur outil. Mais elles montrent souvent leurs limites. Ici un séquenceur d’ADN du Musée canadien de la nature utilisé lors de tests génétiques visant à confirmer des hybrides du lynx du Canada, Lynx canadensis, et du lynx roux, Lynx rufus. Image : Kamal Khidas © Musée canadien de la nature

Bien que l’hybridation soit naturelle, l’être humain est souvent responsable de l’effondrement des barrières reproductives, créant ainsi des conditions propices à de l’hybridation. Il a complètement modifié l’aire de distribution naturelle des populations de 65 % des 822 espèces de poissons nord-américains, ce qui a fait augmenter significativement les fréquences de l’hybridation entre les espèces indigènes et celles provenant de l’extérieur de l’habitat.

Un spécimen naturalisé de Colin de Virginie, Colinus virginianus.
Le Colin de Virginie, Colinus virginianus, était autrefois abondant dans une bonne partie de l’Ontario. Des individus provenant de populations américaines, possiblement de sous-espèces différentes, ont été volontairement introduits dans la province. La population de l’Ontario a alors commencé à souffrir des effets délétères de l’hybridation qui s’en est résultée. Elle est maintenant classée « En danger ». Image : Michel Gosselin © Musée canadien de la nature

Certes, l’hybridation naturelle peut être bénéfique pour les espèces et la biodiversité. Elle favorise la création de nouvelles espèces; elle augmente aussi la vigueur des hybrides. Mais elle peut avoir des effets délétères.

L’hybridation est souvent responsable de la non-viabilité et de la stérilité des hybrides, et de leur très faible aptitude à survivre dans les conditions naturelles. Il y a alors gaspillage de gamètes et d’énergie dans les efforts de reproduction tellement précieux surtout pour les espèces en péril, ce qui peut conduire à la disparition d’espèces.

L’hybridation a grandement contribué au déclin de 38 % des poissons nord-américains récemment disparus. Le déclin à grande échelle des populations de parulines à ailes dorées serait en partie attribuable à son hybridation avec la paruline à ailes bleues, laquelle est en expansion. Faut-il s’en préoccuper? Il y a probablement lieu d’aller au cas par cas. En tout cas, nous devons revoir en profondeur notre rapport avec la nature.

Et vous, qu’en pensez-vous?
Répondez à notre sondage en ligne pour approfondir votre réflexion sur l’hybridation.

Vous pouvez aussi voir ci-dessous les commentaires de certains des participants qui assistaient à la causerie sur l’hybridation.

Prochaines soirées ParlonsNature :
L’intelligence des plantes : La pensée repensée – 18 mars 2014
Les parasites : La santé repensée – 16 avril 2014