L’expédition de botanique dans l’Arctique 2012 s’est terminée il y a quelques semaines. Paul Sokoloff raconte les aventures de nos quatre intrépides botanistes lors de leur descente de la rivière Soper située sur l’île de Baffin, au Nunavut.

Quatre personnes assises dans la cabine d’un petit avion.
L’équipe de terrain au grand complet juste avant le décollage. De gauche à droite : Lynn Gillespie, Roger Bull, Jeff Saarela et Paul Sokoloff. Image : Paul Sokoloff © Musée canadien de la nature

Les capacités d’adaptation de l’être humain ne cessent de m’étonner. Dès notre deuxième jour en Arctique, sur la toundra du parc territorial Katannilik, je m’étais habitué à cette pénombre qui remplace la nuit. Après une semaine, l’eau glacée de la rivière Soper qui  parfois rentrait dans notre embarcation ne me dérangeait plus. Après trois semaines, les portages m’apparaissaient plus légers et les coups d’aviron plus faciles. Enfin, après un mois, la vie rustique dans l’Arctique était devenue aussi naturelle que respirer.

Trois personnes dans une embarcation, pagayant dans les rapides d’une rivière, près d’une paroi rocheuse.
Jeff Saarela, Roger Bull et Paul Sokoloff s’apprêtent à attaquer un rapide de classe 3 juste sous les chutes Soper, le terminus de la rivière du même nom.

Comme prévu, l’épuisement de nos réserves de nourriture, de papier à presser, de thé et de café (soupir!) indiquait la fin de notre descente de la rivière Soper. Notre expédition a été un succès retentissant à tous points de vue : nous avons collecté près de 900 spécimens, mais c’est là le sujet d’un autre billet. L’enivrement suscité par la découverte de nouvelles espèces végétales n’avait d’égal que l’excitation du voyage.

Des tentes dressées sur la toundra.
Notre troisième campement, près du « Big Bend » (le grand coude) de la rivière Soper, à l’île de Baffin, au Nunavut.

Nous avons entamé notre excursion au mont Joy, à l’endroit où les vols affrétés d’Iqaluit peuvent atterrir sur une bande d’atterrissage de gravier. Tout en déchargeant les radeaux, nous anticipions l’excitation que nous procurerait la descente de cette rivière du patrimoine canadien. Mais l’enthousiasme s’est quelque peu estompé après avoir dû traîner les embarcations sur presque deux kilomètres jusqu’à ce que l’eau soit assez profonde. L’eau était vraiment basse cette année à l’île de Baffin!

Vous pouvez voir ici nos efforts pour tirer le bateau…

Mais quand nous avons enfin pu nous déplacer à la force de nos bras, les trois embarcations gonflables fournies par Inukpak Outfitting d’Iqaluit se sont révélées rapides et stables. Louis-Philippe Pothier, le propriétaire de l’entreprise, a conçu une grande plateforme pour contenir l’équipement de terrain, à laquelle on a fixé deux embarcations. Le Dewey Soper était né, ainsi baptisé en l’honneur du naturaliste J. Dewey Soper qui a aussi donné son nom à la rivière.

On voit ici le Dewey Soper guidé par l’équipe dans le passage d’une chute.

Notre séance d’entraînement à la descente en eau vive sur la rivière des Outaouais s’est révélée indispensable. Nous avons été en mesure d’affronter les dix rapides de classe 1 à 3 de la rivière Soper sans tremper nos tentes ou nos spécimens. Avec le radeau Dewey et le canot solitaire baptisé Alf Erling Porsild, nous avons parcouru 60 km de rivière en six jours de navigation.

Cette vidéo montre le passage de rapides… en compagnie des moustiques!

Les 18 jours sur la terre ferme, nous avons passé le plus clair de notre temps à marcher et à collecter des spécimens. Comme je l’ai raconté dans les billets précédents, le travail de terrain consiste en de longues marches les yeux rivés au sol.

Un homme ramasse des baies dans la toundra.
Paul Sokoloff ramassant des plaquebières, Rubus chamaemorus, le long de la rivière Livingstone.

Entre la navigation, la marche et la collecte, notre emploi du temps était bien rempli. Aussi, quelques séances de pressage se sont-elles prolongées jusqu’à minuit. Un judicieux mélange de musique classique, de folk rock et de hair metal (je ne plaisante pas!) nous a donné de l’entrain pour ce travail tardif.

Un homme porte une plante sur sa tête, avec racines et motte de terre.
Paul Sokoloff montre les premiers signes du « cerveau de terrain », en arborant ce ravissant oxytrope à folioles nombreuses, Oxytropis deflexa subsp. foliolosa.

Et les délicieux petits plats (avec de temps en temps un gâteau au chocolat) distribués par Roger Bull venaient récompenser nos efforts et nous redonner courage quand il pleuvait à boire debout et que les moustiques formaient un épais tapis sur le double-toit de la tente.

Après 24 jours dans la toundra, quand le moment du départ a sonné, nous étions fatigués, mais plus forts et plus minces que quand nous sommes arrivés. Nous avions aussi d’étranges comportements en raison de l’isolement (c’est ce que nous appelons le cerveau de terrain…) et, pour trois d’entre nous, nous étions aussi plus barbus.

Est-ce que nous recommencerions? Demain matin! Et maintenant que nous savons que botaniser et naviguer en eaux vives se complètent de façon efficace et amusante, je ne crois pas que nous allons attendre longtemps pour nous y remettre.

De nombreux moustiques se pressent sur la tête d’un homme, recouverte d’un foulard.
Des moustiques à foison sur la tête de Roger Bull. Et c’était parfois bien pire!

L’expédition de botanique dans l’Arctique 2012 en chiffres

Nombre de spécimens collectés : 898
Nombre d’espèces observées : 250
Nombre de personnes rencontrées le long de la rivière : 11
Nombre de gâteaux mangés : 3
Nombre de sculptures achetées par les membres de l’équipe à Kimmirut : 20
Nombre de biscuits mangés : 400

Musique écoutée lors d’une séance de pressage tardive

Scheherazade op. 35 de Nikolaï Rimksy-Korsakov
Rhapsody in Blue de George Gershwin
Heart of Gold de Neil Young
I Believe in a Thing Called Love de The Darkness

Et un lever – et coucher – de lune impressionnant sur la toundra…